Le sorcier de l'art Augustin Rebetez hante encore une fois le Théâtre de Vidy
Le plasticien venu au théâtre est de retour avec «L'Âge des ronces», nouvelle variation scénique autour de son univers visuel. Rencontre.
«La dernière fois, il y avait plus de bordel.» Il y a deux ans, pour la création de son premier spectacle, Rentrer au volcan, il avait recouvert le foyer du Théâtre de Vidy d'une telle prolifération d'images, d'affiches et d'artefacts étranges que le respectable vaisseau amiral des scènes romandes avait pris une allure de squat artistique. Pour sa nouvelle incursion sur les planches, le Jurassien Augustin Rebetez, 31 ans, s'est encore une fois emparé des murs pour introduire visuellement sa pièce L'âge des ronces, créée ce mercredi. L'accrochage de tableaux et de projections est beaucoup plus classique et moins foisonnant, mais indique le souci d'un préambule de la part d'un artiste recycleur qui manie un très large champ artistique, de la photo à l'installation, du dessin à la musique.
«Mais c'est toujours le même univers plastique fort», assure ce chef d'équipe à l'heure des dernières mises en place. «Il y a des marionnettes, des costumes, des masques, des accessoires, des éclairages. La différence, c'est la réflexion de départ.» Rentrer au volcan sondait l'intimité d'une énergie originelle et évoquait muettement l'écriture. «Comme il y a celui de pierre ou de bronze, l'âge des ronces reflète notre époque. Il faut le comprendre comme une métaphore poétique des réseaux sociaux, de toutes les connexions possibles. Dans le registre végétal, cela pique et cela se propage à fond.»
«Livraison de rapaces»
Le plasticien en mutation scénique ne se contente pas d'avertir visuellement le spectateur. Il lui distribue aussi un journal poétique à la typographie contaminée d'éclaboussures d'encre et de figures, comme une «livraison de rapaces». «J'aime cette idée de m'adresser à un maximum de gens. Il y a ceux qui sont très sensibles au visuel, ceux qui ont besoin d'un texte ou d'un bout de phrase pour s'installer dans un univers. Même si je ne suis pas sûr que ces éléments aident la compréhension. Mais je mélange tous les canaux pour atteindre tout le monde.» Cette nouvelle production tranche aussi sur la première par son recours au texte, scandé sur scène par le rappeur et comédien AbSTRAL Compost.
Sous l'étendard de son énoncé fétiche «Nous travaillons pour la nuit», Augustin Rebetez invoque une nouvelle fois des forces obscures pour composer un déchaînement d'images avec, en rémanence, de vieilles obsessions personnelles. «Je me préoccupe encore des liens entre les vivants et les morts, à travers la figure du fantôme. Avec cette question universelle qui occupe toutes les religions: que se passe-t-il après la mort? Mais avec un feeling assez personnel. Allons-nous hanter une vieille grange pendant quelques années avant de disparaître définitivement?» Il se laisse guider en confiance par son imaginaire, entendu comme «un trou dans la tête, plus ou moins ouvert et fonctionnel, un flux d'expression constant». Sans avoir jamais vu beaucoup d'ectoplasmes dans sa vie, il relève toutefois l'efficience du «secret», cette capacité que possèdent certains à soulager les souffrances d'autrui. «Même le CHUV fait appel à eux pour calmer les douleurs des grands brûlés…»
«On n'apprend pas à devenir sorcier en regardant Harry Potter!»
En œuvrant dans une dimension rituelle, Augustin Rebetez se démarque de la création contemporaine dans ce qu'elle peut avoir de scolastique et d'hyperformel et se réclame plus volontiers des pratiques archaïques du gourou ou du sorcier. «Des personnalités au fond desquelles on sent l'étincelle, avec un intérieur puissant, quelque chose qui appartient aussi à l'enfance. On n'apprend pas à rêver dans les écoles d'art, tout comme on n'apprend pas à devenir sorcier en regardant Harry Potter! Je me sens plus proche du sorcier que de la scène artistique contemporaine, tellement intellectuelle qu'elle finit par faire sa cuisine d'après un livre de recettes.»
Après sa création à Vidy, L'âge des ronces partira à Besançon aux 2 Scènes, coproductrices du spectacle, puis se tiendra prêt pour une éventuelle tournée en 2018-2019. Pour une exposition thématique sur l'armoire au Gewerbemuseum de Winterthour, l'artiste vient de livrer un meuble de 80 tiroirs qui, chacun, contient une œuvre que le public peut toucher. La prolifération se poursuit, en attendant de réaliser son rêve de cinéma, auquel la production théâtrale l'entraîne. «Deux mondes hyperliés.»
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