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Le théâtre signe son grand retour sur la RTS

La chaîne publique diffusera ce jeudi soir à 23h10 l’euphorisant «Concours européen de la chanson philosophique», show signé Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre. La démonstration que le théâtre peut être un merveilleux objet télévisuel

Les chanteurs Dominique Hunziker et Davide De Vita font un beau sort à huit textes écrits par des penseurs européens spécialement pour le spectacle. — © Pierre Nydegger & Laure Ceillier/RTS
Les chanteurs Dominique Hunziker et Davide De Vita font un beau sort à huit textes écrits par des penseurs européens spécialement pour le spectacle. — © Pierre Nydegger & Laure Ceillier/RTS

Et si vous chantiez à présent, histoire de prendre de la hauteur? Ce jeudi soir à 23h10, des acteurs dégivrent la nuit sur RTS 1. Ils présenteront un extraordinaire Concours européen de la chanson philosophique, spectacle chasse-spleen qui tient de la parodie et de l’hommage. En guise de jury, un aréopage d’intellectuels, anthropologues ou philosophes, improvise une exégèse savoureuse.

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Derrière ce gai savoir musical, il y a deux têtes bien faites, Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre. En septembre, ce couple lausannois, qui a l’habitude de détourner nos mythologies, offrait au Théâtre de Vidy ce show spirituel. Sur leur plateau brillaient chanteurs et musiciens, issus de la Haute école de musique Vaud Valais et Fribourg. Et dans l’ombre, agile comme Peter Pan, passait la caméra du cinéaste Jérémie Cuvillier.

C’est à ce baroudeur du documentaire qu’on doit ce film qui inaugure sur la RTS une mini-série de spectacles romands, cinq d’ici à la fin de 2021. L’opération, nommée «De la scène à l’écran», est le fruit d’une alliance entre la chaîne publique, la Société suisse des auteurs et l’Association romande de la production audiovisuelle (Aropa).

Mémoire évanescente

«C’est né d’une discussion avec le producteur genevois David Rihs, raconte Philippa de Roten, directrice du département Société et Culture de la RTS. Il regrettait que la télévision ne diffuse plus de spectacles. Et c’est vrai que c’est une mission que nous avons délaissée. Les audiences ont fondu et les budgets avec. A l’époque d’une émission comme Cadences, à la fin des années 1990, on pouvait encore réunir 20 000 personnes devant un spectacle; aujourd’hui, on ne peut espérer plus de 2000 à 3000 téléspectateurs.»

Temps antédiluviens. L’offre culturelle est alors beaucoup moins riche, rappelle Philippa de Roten, et les chaînes se comptent encore sur les doigts des deux mains. «Le contrecoup de cet abandon est que la création vivante n’a plus de mémoire télévisuelle, poursuit la journaliste. Nous avons voulu y remédier, avec l’Aropa et la SSA, ce d’autant que l’on peut proposer des dispositifs plus sophistiqués avec des moyens plus légers.»

Tube lusitanien

Le plaisir qu’on prend à visionner ce Concours européen de la chanson philosophique tient à cela: loin d’être un décalque du spectacle, le film en dévoile toutes les faces. Appréciez l’envers: une chanteuse coiffe la perruque de son personnage. Admirez l’endroit: Massimo Furlan, alias Pino Grigio, lance le candidat portugais, Joao Pinto, un berger chantant un texte du philosophe lusitanien Jose Braganca de Miranda.

Voyez alors l’animal. Il sort du bois à l’instant, recouvert d’une peau de loup et son chant coule comme un coulis de myrtilles. A ce moment-là, Jérémie Cuvillier nous montre sa camarade qui, dans sa loge, l’accompagne en fredonnant. Tendresse de théâtre.

«Massimo et Claire m’ont laissé toute liberté, confie le réalisateur. J’ai tourné une fois depuis la salle le spectacle, puis j’ai filmé presque tous les soirs en présence du public, tantôt dans une loge, tantôt en coulisse, tantôt encore sur scène. Je voulais qu’apparaissent à l’écran toutes les strates de la création, dans la continuité du show.»

C’est ce qu’on appellera le labeur et la grâce. D’un côté une manière de distanciation comme on disait chez Bertolt Brecht; de l’autre, la fièvre du samedi soir. Massimo Furlan chauffe le public comme les ténors de la RAI naguère. Pendant ce temps, sa comparse, la bluffante Anne Delahaye, alias Pina Mortadella, s’éponge derrière un projecteur.

Une rampe de lancement

La RTS ne pouvait rêver mieux que ce modèle de théâtre populaire pour relancer le genre à l’antenne. Le coût de l’opération paraît modeste: 80 000 francs pour l’opus. «Les quatre autres films auront droit à la même somme, précise Philippa de Roten. Le fonds prévoit 60 000 francs pour chaque réalisation, charge à la production de trouver le complément.»

L’audience, elle, ne devrait pas être astronomique, mais cette première diffusion est une rampe de lancement. Ce Concours européen de la chanson sera décliné sur d’autres plateformes. Vidy, qui depuis quinze jours invite sur son site à découvrir l’univers de Massimo Furlan, mettra en ligne la captation dès vendredi.

«L’enjeu de cette diffusion est de toucher des gens qui n’imaginent pas que le théâtre contemporain peut être aussi ludique», se réjouit Vincent Baudriller, directeur de la maison lausannoise. «Toute la nuit après les tournages, je chantais ces tubes philosophiques», confie Jérémie Cuvillier. Cela pourrait bien vous arriver aussi.

Le Concours européen de la chanson philosophique , RTS Un, 23h10.