« It’s crazy !!! », s’exclame, avec le nombre de points d’exclamation requis, une bande de jeunes gens, un soir de fin août à Edimbourg, en sortant du théâtre. C’est dingue, oui, on confirme. C’est Real Magic, le dernier spectacle ravageur, horriblement drôle, follement beckettien du groupe britannique Forced Entertainment. Après avoir été présenté au Festival d’Edimbourg, il arrive à Paris, au Théâtre de la Bastille, dans le cadre du Festival d’automne.
Avec cette nouvelle création, Forced Entertainment (« divertissement forcé » en français) semble avoir mené jusqu’à son point de perfection une recherche de plus de trente ans, et remplir totalement le programme contenu dans le nom que s’est choisi la compagnie : Real Magic est à la fois un pur plaisir de théâtre qui vous scotche à chaque seconde, et une critique au rasoir de la société du spectacle et de la manière dont elle coince les êtres dans un cul-de-sac.
Invraisemblables costumes de poussins
Sur scène, trois quidams, deux hommes et une femme, affublés d’invraisemblables costumes de poussins en fourrure jaune. Sur fond d’applaudissements et de rires enregistrés, ils participent à ce qui ressemble à un jeu télévisé. Le candidat, sous la houlette d’un animateur, doit essayer de deviner le mot auquel pense, à ce moment-là, son challenger – ce qui est évidemment impossible. Un jeu où il n’y a que des perdants.
Ce n’est pas par le discours, mais par son dispositif, à l’intérieur duquel les acteurs s’en donnent à cœur joie en termes de jeu, que Real Magic piège son spectateur
Tout le spectacle est constitué par cette situation de base, indéfiniment répétée et reprise avec de multiples variations, les trois excellents acteurs-performeurs, Jerry Killick, Richard Lowdon et Claire Marshall, s’échangeant sans fin les rôles du candidat, du challenger et du présentateur. Ce n’est donc pas par le discours, mais par son dispositif, à l’intérieur duquel les acteurs s’en donnent à cœur joie en termes de jeu, que Real Magic piège son spectateur. Et l’emmène, avec un sens du rythme époustouflant, vers une vertigineuse réflexion sur l’impasse politique que nous connaissons aujourd’hui, et l’impasse existentielle qu’est toute vie humaine.
Au lendemain de la représentation, on retrouve Tim Etchells, le directeur artistique de Forced Entertainment. Il pleut sur Edimbourg – ah oui ? –, les cafés arty et les pubs tradis sont bondés, alors on se rabat – quelle ironie ! – sur la cafétéria impersonnelle du siège du festival, pour parler de l’histoire de la compagnie. Ou plutôt du groupe : les six partenaires de Forced Entertainment y tiennent, à ce terme. Un groupe, comme dans le rock, et pas une compagnie, comme dans le théâtre au sens classique du terme.
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