Dans "Democracy in America", Castellucci multiplie les tableaux superbes, comme un peintre
- Publié le 09-03-2017 à 09h19
Romeo Castellucci n’est pas seulement ce grand metteur en scène qui creuse au fond de l’âme humaine et du silence des dieux. Il est aussi un formidable « peintre ». « Democracy in America », créé à Anvers, en témoigne.
Dans un entretien, il nous expliquait comment il s’était inspiré de Tocqueville pour raconter l’histoire d’un couple de paysans, des Puritains, qui colonisèrent l’Amérique et voulaient y créer le nouvel Israël, un Royaume de Dieu.
Mais, épuisée par tant de misère, la femme en arrive à douter de Dieu, à l’interpeler sur son silence, à blasphémer. Pour mettre Dieu au défi, elle vend sa fille contre des graines, attendant que Dieu arrête son geste comme il le fit avec Abraham égorgeant son fis. Mais la seule réponse est le tribunal implacable des « Puritains » en grands chapeaux et robes noires.
Pour Castellucci, cette démocratie américaine fondée par les Puritains sur la Loi de Dieu, a abouti à un vide mélancolique toujours présent aux Etats-Unis.
Auto renversée
Sur scène, l’histoire poignante est jouée au milieu d’un énorme plateau nu. Mais ensuite, Castellucci multiplie les images magnifiques, obscures ou saisissantes, jouant des grands rideaux de tulle et des jeux de lumière pour créer des tableaux à la Turner ou Rothko, avec les couleurs inondant l’espace ou se retirant laissant un blanc éblouissant.
Une quinzaine de danseurs en costumes anciens reprennent des danses folkloriques venues de la nuit des temps, comme si la danse était une ébauche de démocratie en commun. Ces mouvements, vus à travers les voiles, sont comme des tableaux de Vermeer.
La bande-son faite de craquements et bruits stridents apporte l’inquiétude métaphysique. On regrette parfois de ne voir les scènes qu’à travers le flou des voiles, mais c’est pour mieux remonter à l’aurore balbutiante et obscure de la démocratie.
Par d’autres images, Castellucci évoque le lien avec aujourd’hui quand, sur scène, des hommes font faire des tonneaux à une vraie voiture qui échoue au milieu du plateau, sur le dos, cabossée comme le rêve américain. Au-dessus, venues du néant, d’étranges machines robots zèbrent le ciel : un néon dansant, des pattes de vaches épileptiques ou de grands bras articulés comme des éclairs de métal.
Sur scène, il n’y a que des femmes. Sur l’écran, défilent les dates clés de la démocratie américaine mêlées à celles des batailles. Avec des drapeaux, les femmes montrent comment on peut déduire le monde actuel des lettres mêmes de « Democracy in America ».
--> Democracy in America , Castellucci, Singel, Anvers, jusqu’au 11 mars.